Un cercle vertueux : C’est le résumé de l’évaluation des petits déjeuners gratuits à l’école Maurice-Korsec de Belsunce (mars-juillet 2024), présentée ce 11 décembre 2024, au sein de l’école. Cette action, portée par la Ville, la Mairie de secteur, l’État et des fondations privées, est réalisée depuis mars 2024 par la Régie de quartier Noailles-Belsunce, association d’insertion par l’économie, ouverte sur le quartier. Devant le succès rencontré, elle a été étendue à une deuxième école de Belsunce, l’école Convalescents, depuis cette rentrée.
Une semaine avant, la presse publiait des statistiques sur l’augmentation de la pauvreté en France et dans notre ville. D’après l’Observatoire des inégalités, Marseille compte 201 069 personnes sous le seuil de pauvreté (1014 € pour une personne seule, 1500 € pour un couple, 2500 € pour un couple avec deux enfants), soit 23 % de sa population, particulièrement dans le Nord et le centre de la ville. Le taux de pauvreté dépasse les 50 % dans le 3ème arrondissement. A Belsunce, il est estimé à 42%.
A l’école Maurice-Korsec, 129 enfants, soit 59 % des élèves, se sont inscrits dans ce dispositif, avec une moyenne de 59 écoliers par jour. 41 % des enfants ne prenaient pas régulièrement de petit-déjeûner le matin. 77 % des enfants déclarent ne plus ressentir la faim durant la matinée, et mieux suivre les leçons après avoir mangé. Les enseignants constatent une amélioration de la ponctualité, du calme et de la concentration. Voici comment une action contre la faim devient un facteur de réussite pour l’apprentissage scolaire.
L’action coche toutes les cases : lutte contre la faim et la pauvreté, meilleure qualité d’éducation, environnement (produits bio et locaux, livraison en vélo cargo), création d’emplois pour des habitants du centre-ville (postes en insertion), dimension participative (ateliers cuisine, implication des parents et des personnels de l’école).
Un évaluateur a fait référence à l’Unicef et il a raison : la faim n’est pas une spécificité des pays pauvres. Elle existe aussi dans nos pays dit riches.
Les travaux de l’économiste française Esther Duflo, prix Nobel d’économie, ont mis en valeur qu’il ne suffit pas d’inscrire les enfants à l’école pour lutter contre la pauvreté mais aussi d’y lier des avantages économiques, comme les cantines gratuites, motiver les enfants et les enseignants, et un pouvoir de décision local (1).
C’est une chose de le lire ou de l’apprendre à l’Université, c’est autre chose de le vivre et d’en tirer la conviction par l’expérience, que ce type de mesures va dans la bonne direction.
Imagine-t-on argent mieux dépensé ? Imagine-t-on que dans notre pays qui ne sait plus dire d’où vient le déficit public, au risque de mettre à l’arrêt de nombreuses politiques sociales, des sommes finalement modestes permettent de créer tant de bienfaits ?
Évidemment, cette action est loin de résumer toute une politique de lutte contre la pauvreté, qui dépend en grande partie des compétences du Département et de l’État. Mais dans un contexte angoissant où la politique nationale se résume à des invectives sur la sécurité et l’immigration, cette expérience vient à point pour mettre en lumière d’autres priorités, pour répondre à des besoins fondamentaux : manger à sa faim, se soigner, éduquer, et travailler dans la dignité.
Sophie CAMARD
(1) Esther DUFLO, Lutter contre la pauvreté, Le développement humain (I), La politique de l‘autonomie (II), Editions du Seuil, 2010