Au fil du [Print]temps – N°8 – Edito
Cher rorqual,
En plein confinement, tu as fait un sacré buzz sur les réseaux sociaux grâce à la video d’une patrouille des Affaires Maritimes dans le Parc National des Calanques. Certains, comme moi, ont surtout été jaloux des agents et pensé à une reconversion professionnelle de gardienne de baleine à la sortie du chômage partiel. Beaucoup d’autres ont tout simplement découvert ton existence et exprimé leur surprise de ta présence si proche de notre côte urbanisée.
J’avais eu la chance de croiser ta route, une fois. Le bateau sur lequel je me trouvais fonçait vers l’Ouest en direction du Planier. Toi, tu fonçais vers le Sud, en direction du sanctuaire Pelagos. C’était saisissant de te voir surgir à bâbord, pendant qu’à tribord, la ville était noyée dans un brouillard jaune de pollution. J’avais l’impression que tu envoyais un message : celui d’un grand mammifère sauvage qui défiait la civilisation humaine… ou qui l’alertait. D’ailleurs, pendant que nous coupions le moteur pour t’admirer, un kéké est arrivé plein gaz sur toi avec son scooter des mers. Tu as immédiatement replongé dans les profondeurs et on ne t’a plus revu.
En réalité, nous avons collectivement réalisé pendant le confinement ce que les observateurs patients de la nature savent déjà : les animaux sont en danger mais ils n’ont pas complètement disparu. Ils se cachent. Ils se protègent. Outre la chasse et la pêche qui menacent directement leur vie, il y a aussi le bruit, les vibrations, les substances toxiques… Vous imaginez ? « Tous aux abris ! » Pendant que la moitié de l’humanité était confinée, les sismologues du monde entier ont enregistré une baisse spectaculaire des vibrations de la Terre qui a influencé le mouvement de notre planète. Existe-t-il meilleure démonstration de l’influence humaine sur la terre et la biosphère ? Et sans aller jusqu’aux études des sismologues, souvenons-nous des jolies cartes vertes de la pollution de l’air… en l’absence de voitures.
Vous me voyez venir ? Tous à vélo !
Mais non… Rassurez-vous, avec notre chère droite locale, il n’y aucun risque de passer d’un seul coup de 1% à 100% des déplacements à vélo. La Métropole a évoqué les intempéries pour expliquer les retards de travaux sur les pauvres 9 km de pistes cyclables en plus qu’elle avait promis, contre 50 km à Paris, ou 77 km à Lyon. Il s’agissait d’éviter en France un rebond spectaculaire du recours à la voiture par crainte des transports en commun propices à la circulation du virus. Mais à Marseille, on a la pluie. Point commun inattendu entre le logement indigne et l’omniprésence de la bagnole, « c’est la faute à la pluie » est devenue une ritournelle bien connue de l’inaction publique. Et c’est vrai qu’en ce premier jour de déconfinement, lundi 11 mai, il pleuvait. Il y avait des bagnoles et on ouvrait les centres commerciaux avant les plages et les Calanques… Difficile de penser l’écologie et le « monde d’après » sans le rapport au travail, aux urgences sociales, à la société de consommation, mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas le faire.
Ainsi, cher rorqual, j’aimerais bien te revoir de près. Je préfère qu’on se rapproche plutôt qu’on s’ignore. Je ne voudrais donc pas punir l’humanité, ni la cloîtrer jusqu’en l’an 3000, mais plutôt changer notre manière de produire et de consommer, de travailler, de nous déplacer. Les effets du confinement sur la nature nous l’ont montré : nous avons les cartes en main. Tout cela légitime l’action politique, qu’elle passe par les mobilisations de la société civile jusqu’aux grandes négociations internationales, mais aussi par les politiques publiques des collectivités locales en matière d’urbanisme, de déplacements, d’agriculture, d’économie.
Cher rorqual, toi qui a une espérance de vie de presque un siècle, tu as bien le temps de revenir nous voir, mais pour nous, ça presse ! Quand tu reviendras, j’espère que tu trouveras ma ville à la fois plus verte, et plus humaine finalement, même sous la pluie.
Sophie Camard, tête de liste du Printemps Marseillais pour le 1er secteur