La nouvelle du décès de Pape Diouf, victime du coronavirus, est tombée hier soir, sur nos téléphones de confinés. Tristesse… Et besoin d’écrire plus qu’un tweet.
Côté ballon rond, beaucoup en parleront mieux que moi. Je veux lui rendre hommage comme je peux, à travers le témoignage d’une expérience politique à ses côtés. Quelle coïncidence que Pape Diouf nous ait quittés d’une municipale à l’autre !
En effet, aux élections municipales de 2014 à Marseille, Pape Diouf a été la tête de liste de « Changer la donne », une liste citoyenne qui a fait 5,6% des voix. Je participais à cette campagne, avec Michèle Rubirola qui était tête de liste dans le 4/5, déjà à l’époque, et Sébastien Barles, tête de liste dans le 1/7, déjà à l’époque. Nous étions en effet une poignée d’écologistes (1) à avoir refusé de rallier les listes de Patrick Mennucci. Le Front de gauche avait fait aussi bande à part sur ce scrutin. C’était mal parti pour la gauche. A cette époque, le PS y était encore hégémonique mais très contesté, aussi bien au niveau local (les primaires avaient été désastreuses), que national avec les mandats de Manuel Valls et François Hollande.
Notre liste citoyenne a été très controversée, et j’ai tiré certaines leçons de cet échec. Pour cette élection municipale 2020, j’ai eu une appréciation différente de la situation. L’unité était la condition nécessaire pour gagner, une exigence forte des électeurs, pour renverser un système municipal rejeté au plus haut point. Jean-Claude Gaudin n’avait plus l’image du gentil grand-père protecteur de 2014. En 2019, l’unité devenait possible puisque le PS n’avait plus la même place hégémonique et qu’il était même coupé en deux. Ironie du sort : on a ainsi retrouvé Patrick Mennucci contre le Printemps marseillais, soutenant à la fois Samia Ghali et Sébastien Barles, ce dernier n’ayant pas changé de posture malgré le contexte différent. Pape Diouf, lui, a soutenu le Printemps marseillais.
Ce contexte politique étant rappelé, je voudrais laisser la place à une réflexion plus personnelle. Pape Diouf m’a appris à faire de la politique… avec des citoyens qui n’en font jamais. Il était lui-même complètement rétif à l’exercice. Il m’a confié avoir regretté son entrée en politique… dès sa déclaration de candidature, quand il a mesuré la difficulté de l’exercice.
Nous avions écrit à plusieurs mains un super programme, dont on ne changerait d’ailleurs pas grand-chose aujourd’hui.
Présentation du programme Changer la donne
Ce programme, Pape Diouf ne voulait jamais en parler. Il disait juste : « Il faut écouter les gens. Je prendrai les avis de tout le monde… ». Dans les médias, ça pouvait rendre les journalistes très caustiques et agressifs. A l’époque, ça me stressait beaucoup. Aujourd’hui, je crois que je rigolerais bien de voir quelqu’un « au-dessus de tout ça », dans une sorte de temps long à l’opposé de l’hystérie quotidienne des réseaux sociaux. Il pouvait se le permettre parce qu’il avait une popularité et un rapport aux Marseillais qui le mettait au-dessus de ces contingences. Avec Pape Diouf, le rapport aux électeurs n’était pas rationnel, argumenté. C’était de la complicité implicite, de la popularité (qu’on ne doit jamais confondre avec un score électoral), de l’émotion. Je me souviens surtout du sourire des enfants quand on distribuait des tracts à la sortie des écoles : « Oh… c’est Pape Diouf » ! Voilà. On n’avait pas à en dire plus.
Nos listes, je les aimais bien. Elles étaient composées de citoyens de tous horizons, de la femme de ménage au pilote de ligne. Nous les avions faites en deux semaines et avions été les premiers à les déposer en préfecture. Elles m’avaient permis de faire beaucoup de rencontres enrichissantes, notamment Philippe San Marco. Cette dynamique citoyenne, j’ai vraiment tout fait pour la retrouver au sein du Printemps marseillais, parce qu’elle est créative et qu’elle nous rattache à la réalité.
Avec Pape Diouf, j’étais obligée de sortir de mon confort de pensée. J’ai vu en 2014 combien les repères politiques traditionnels s’effaçaient, combien il ne fallait pas parler à partir de ce qu’on prétend savoir, mais de ce que les autres perçoivent.
Je ne dis pas que c’est simple. Les seconds tours font partie des situations les plus difficiles, où s’exprime la rupture entre les plus politisés d’entre nous, et les citoyens éloignés de la politique. En 2014, avec Michèle Rubirola, nous nous sommes clairement désistées pour la liste de Marie-Arlette Carlotti arrivée devant nous dans le 4/5, sans fusionner conformément à la consigne de Pape Diouf. C’était une forme d’intégrité : si on a fait un mauvais score, pourquoi avoir des élus par des fusions que les électeurs ne comprennent pas ? Nous étions aussi clairement pour l’appel à battre le FN dans le 13/14. Cette position, les citoyens non politisés sur nos listes n’en voulaient pas : « En quoi ça nous regarde ? Si on est au premier tour, on peut voter pour nous. Si on n’est pas au second tour, puisqu’on n’y est pas, on ne vote pas». Simplicité radicale, qui casse les codes… Les fissures dans la stratégie du « front républicain » commençaient à apparaître. Elles n’allaient plus cesser de s’élargir. Quant à Pape Diouf, il voulait en finir au plus vite avec cette galère !
Dans cette expérience politique, Pape Diouf a été humble parce qu’il a reconnu qu’il n’était pas fait pour ça et qu’il s’était trompé. Il a tenté ensuite de transformer cet engagement en fondation humanitaire pour les quartiers populaires, parce qu’il ne s’attendait pas à retrouver des situations proches de celles qu’il pouvait voir en Afrique, dans une ville comme Marseille. Il n’a jamais réussi à trouver les financements pour mener à bien son projet. Il a dû affronter les affaires judiciaires de l’OM, et il est retourné au Sénégal.
Il m’avait incité à continuer. J’étais heureuse du soutien qu’il nous avait récemment apporté. J’espère qu’il s’est dit qu’il n’avait pas fait ça pour rien.
Salut à toi, Pape Diouf. Quand on ira droit au but à la Mairie, j’aurai une pensée pour toi.
(1) J’ai été membre active des Verts puis d’EELV pendant dix ans (2007-2017)