Les urgences sont quotidiennes en mairie de secteur : signalements de nuisances et d’insécurités, crise sanitaire, préparation de la rentrée scolaire… Mais cela ne doit pas nous empêcher de développer nos projets, d’offrir des moments de détente et de culture.

Lundi 24 août 2020, nous avons donc réouvert le théâtre Sylvain, qui est géré en direct par la mairie de secteur, avec un ciné plein air gratuit. Nous nous associons à une semaine de commémoration de la Libération de Marseille, avec la projection du documentaire « Marseille et les Américains » pendant la seconde guerre mondiale. Ce documentaire de Matthieu Verdeil, destiné à un public scolaire, est apprécié de tous. Il a été écrit avec le grand historien marseillais Robert Mencherini, que j’ai eu le plaisir de rencontrer à cette soirée, en présence aussi de Mme Kristen Grauer, Consule générale des Etats-Unis.

Ouverture de la soirée « Marseille et les Américains » au théâtre Sylvain,
avec Mme Kristen Grauer, Consule générale des Etats-Unis

Madame la Consule des Etats-Unis,
Mesdames, Messieurs,

Je suis heureuse de vous accueillir ce soir pour la réouverture du théâtre Sylvain, dans le respect des normes sanitaires. C’est le prélude à toute une saison culturelle organisée par la Mairie du 1er secteur de Marseille, que nous travaillons de concert avec mon Adjointe à la Culture Agnès Freschel, dont je salue la présence.

En cette semaine de commémoration de la Libération de Marseille, nous allons visionner ce soir un documentaire sur Marseille et les Américains.

Ce n’est pas un thème si facile, ni évident, surtout quand on compare les deux débarquements des Alliés, en Normandie et en Provence. Je dis cela parce que mon histoire personnelle se partage justement entre Le Havre et Marseille, les deux ports stratégiques de la France, les deux régions qu’il fallait libérer par la mer en 1944, pour prendre en étau l’occupant nazi. En Normandie, l’amitié franco-américaine est évidente, soudée par le sacrifice de milliers de jeunes GI’s sur les plages, une tragédie de 140 000 morts, alliés, allemands et civils. C’est un lien du sang, avec ses cimetières le long des côtes normandes et le mémorial de la ville de Caen.

En Provence, si la stratégie militaire est commune, l’histoire du débarquement est différente.

Certes, la Libération de Marseille a été déclenchée par le débarquement des Alliés en Provence, sur les plages du Var, le 15 août 1944, sous les ordres du général Alexander Patch, commandant de la 7ème armée américaine, avec le renfort des troupes françaises dirigées par le général de Lattre de Tassigny, qui étaient chargées de libérer Toulon et Marseille.

Cependant, c’est l’insurrection populaire du 17 août 1944 puis la grève générale déclenchées par la CGT clandestine, combinée à l’action des résistants de l’intérieur, les FFI et le réseau de Gaston Defferre, qui vont accélérer la mobilisation de troupes militaires sur Marseille.

Les renforts des armées d’Afrique, goumiers marocains commandés par le général Guillaume, tirailleurs algériens commandés par le général de Monsabert, ont été décisifs pour venir à bout de l’occupant nazi, retranché dans plusieurs lieux fortifiés dont Notre Dame de la Garde. Les héros de la libération de Marseille sont donc français et africains.

Gaston Defferre a raconté comment la mouvance gaulliste, dont il était proche pendant la guerre, refusait une trop forte allégeance au commandement, aux armes et à l’argent en provenance des la Grande-Bretagne ou des Etats-Unis. Le 27 mai 1944, plus d’un an après l’invasion allemande qui avait détruit le quartier du Panier et qui occupait la ville, un bombardement américain avait lui aussi dévasté le centre-ville.

La libération de Marseille est donc une séquence patriotique et révolutionnaire. Elle s’incarne bien dans le titre du quotidien résistant : La Marseillaise ! qui sortira de la clandestinité le 24 août 1944, il y a pile 76 ans aujourd’hui.

Ce quotidien fait partie de notre histoire et la nouvelle municipalité marseillaise se mobilise aujourd’hui pour qu’il puisse continuer à vivre.

De son côté, l’armée américaine viendra construire des infrastructure logistiques pour faire de Marseille sa plateforme de ravitaillement des troupes de libération remontant vers le Rhône. La présence de jeunes soldats dans la ville a nécessairement laissé une empreinte culturelle dont nous allons parler ce soir.

Ce n’était pas nouveau. Les soldats américains ont amené le jazz à Marseille dès 1917 mais il se diffusera surtout après la seconde guerre mondiale. Marseille est ainsi devenue une vraie ville de jazz. On peut l’écouter encore aujourd’hui dans de grands festivals mais aussi dans des petits lieux magiques et souvent cachés.

Jazz- DJ set en 78 tours

Cependant, avant l’arrivée des militaires américains, la société civile américaine s’est illustrée à Marseille par des actes de résistance, en la personne de Varian Fry, dont la place du consulat des Etats-Unis porte le nom à Marseille. C’est un petit clin d’oeil ironique de l’histoire quand on connaît la difficulté à obtenir des visas pour les exilés de cette époque.

Varian Fry, ce brillant journaliste américain, initialement venu à Marseille pour sauver 200 artistes et écrivains antinazis, s’est retrouvé débordé a créé dès 1940 le Centre Américain de Secours, pour porter assistance aux réfugiés. L’écrivain révolutionnaire russe Victor Serge l’a qualifié de « résistant avant la résistance ». Il organisa un réseau officiel, puis clandestin, d’exil vers les Etats-Unis, à partir de Marseille. Parmi les 2000 Juifs et de personnalités sauvées, on trouve des célébrités comme Max Ernst, Max Ophüls, Stéphane Hessel, Marcel Duchamp, Marc Chagall, André Breton, Hannah Arendt… C’est dire sa contribution à la sauvegarde de notre patrimoine culturel.

De retour aux Etats-Unis en 1941, il sensibilisa l’opinion américaine au massacre des Juifs d’Europe, quand bien d’autres restaient encore dans le déni.

C’est en pensant à cet homme juste, épris de liberté, que nous rendons aussi hommage à la société américaine ce soir mais bien au-delà, à l’humanité. En effet, les épisodes tragiques des guerres nous apprennent aussi souvent que le courage et le sens de la justice n’ont pas de nationalité ni de frontière. Ce sont ces valeurs qui fondent les paix durables.

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