Si le Plan Écoles de la Ville de Marseille a été réalisé dans un temps record et salué dans une belle unanimité au Conseil municipal du 17 décembre 2021, le Plan de Mobilité de la Métropole a été voté la veille dans une séance publique à distance, moins chaleureuse et consensuelle. Cela tient à une lente et laborieuse élaboration, à une équation financière non résolue à date, et à des désaccords politiques avec la ville-centre.
Le Groupe Pour une Métropole du Bien Commun, qui représente la Majorité municipale marseillaise, s’est abstenu après un amendement adopté sur le schéma logistique, et un refusé sur l’abandon du Boulevard Urbain Sud. Il ne s’agit pas de nous priver de la qualité du travail réalisé, ni de grandes orientations positives, mais la réalité est loin de la bienveillance affichée dans les documents. La Métropole n’arrive pas à appliquer ce qu’elle vote (ex. 8 % du plan vélo réalisé à ce jour) et les atermoiements sont très contrariants, quand on vit dans la capitale des bouchons et de la pollution. Nous regrettons certains manques ou désaccords, et souhaitons rester vigilants pour la suite.
Des plans et une boussole
Notre pays cartésien adore produire des schémas et des plans à chaque échelon territorial, qui donnent beaucoup de travail à des bureaux d’études, mais perdent les élus et citoyens en cours de route. Ainsi, le Plan de Mobilité métropolitain 2020-2030, ex-Plan de Déplacements Urbain, a été voté le 16 décembre 2021, après plusieurs années d’études, et une enquête publique. Ses objectifs doivent être convergents avec ceux du Plan Climat Air Energie Métropolitain (PCAEM), du Plan de Protection de l’Atmosphère (PPA), du Schéma Régional d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire (SRADDET). La compatibilité avec le Schéma de Cohérence Territorial (SCOT) métropolitain n’a pas pu être étudiée : ce dernier est toujours à l’étude. L’articulation avec le Plan Local d’Urbanisme Intercommunal (PLUI) n’existe pas. Les déplacements et les constructions sont encore conçus séparément. Quant à la Zone à Faible Émission (ZFE), elle est encore à l’étude. N’oublions pas le Plan d’actions en matière de prévention et de réduction du bruit dans l’environnement (PPBE), dont la première cartographie présentée au Conseil métropolitain en novembre 2021 a oublié… Marseille. Nul doute que cet oubli sera bientôt réparé.
Si vous avez le tourni, pas d’inquiétude. Il existe quand même des objectifs et des projets concrets listés dans ce type de document qui donne une visibilité à long terme. Essayons d’en résumer le contenu et les enjeux.
Des objectifs pour rattraper les autres Métropoles… en 2030
Le plan ambitionne de :
- Créer un Réseaux Express Métropolitain avec trois corridors ferroviaires (De Marseille vers Aix, vers Aubagne-Toulon, vers Vitrolles-Aéroport), le Val Tram, et 26 lignes de cars interurbains. L’objectif est de doubler la part modale des cars et trains mais celle-ci restera modeste (2 %). Pour aller plus loin, il faudra débloquer le nœud ferroviaire Saint-Charles mais l’horizon de temps de la Ligne nouvelle se situe vers 2035, avec une première phase dès 2023-2026. L’enquête publique sur la Ligne nouvelle PACA aura lieu du 17 janvier au 28 février 2022.
- Augmenter de 50 % le recours aux transports en commun (200 km en plus) pour une part modale cible de 13 %. C’est un progrès… mais cette part modale est de 22 % dans le PDU de Lyon.
- Réinvestir les centre-villes par les piétons et les modes actifs, ce qui existe depuis longtemps dans d’autres grandes villes ;
- Quadrupler l’usage du vélo (Cible de 7 % de part modale en moyenne dont 15 % dans les centre-villes), sur plus de 1000 km de pistes cyclables interconnectées et sécurisées. Il va falloir passer pour cela de l’escargot à l’hirondelle…
- Reconfigurer les autoroutes vers plus de transports collectifs et d’usage collectif de la voiture (autopartage, covoiturage) ;
- Organiser un réseau de 93 pôles d’échanges multimodaux (points de correspondances et parkings relais) ;
- Élaborer un système logistique plus durable ;
- Intégrer les innovations technologiques et sociétales.
Ce plan va se décliner dans 25 des bassins de proximité, par… des plans locaux de proximité. Encore des plans ! On espère boucler la boucle en contre-la-montre à vélo.
Des projets biens identifiés mais une équation financière à trouver
Sur le papier, le Plan de Mobilité est ambitieux et chiffre à 7 Milliards d’euros les besoins d’investissement. Sur cette somme, 4,7 Mds € sont à charge de la Métropole, sur son budget général (voirie, espaces publics partagés, vélo…), et son budget annexe pour les Transports collectifs (Source : p. 301 du Plan de Mobilité).
En effet, la Ligne nouvelle PACA sera financée surtout par l’État. Les investissements routiers (1 Milliard €) seront financés surtout par d’autres maîtres d’ouvrage (Etat, département), mais pour 30 % sur le budget général de la Métropole.
En tout cas, la Métropole ne pourra plus se limiter à des investissements de peau de chagrin : seulement 100 M€ de dépenses d’équipement en budget annexe des Transports en 2020-2021. Pour franchir un premier cap, l’État a voté une aide d’1 Milliard d’euro (256 M€ en subventions, 744 M€ en avances remboursables) qui permet de doubler le budget Transport en 2022.
Les forts en calcul auront compris qu’il faut passer encore de 200 M€ à 400 M€ par an pour tenir tous les objectifs d’ici 2030. Où trouver cet argent ? La question est explosive. En 2020, la Chambre Régionale des Comptes avait souligné que les attributions de compensations annuelles reversées aux communes avaient augmenté de 220 M€ entre 2012 et 2016 (Rapport d’observations définitives sur les exercices 2016 et suivants de la Métropole AMP, 22 juin 2020, p. 24), ce qui obérait déjà ses marges de manœuvre dès sa création en 2016. Ces 200 M€ par an correspondent justement aux besoins nécessaires pour la Mobilité. On mesure le dilemme… et la raison pour laquelle le vote d’un pacte financier et fiscal a été repoussé après la réforme de la Métropole en cours et les élections présidentielles. L’histoire n’est donc pas terminée et la réalisation complète du Plan de Mobilité est loin d’être acquise.
Dans l’immédiat, un Groupement d’Intérêt Public Mobilité a été créé et la Métropole a publié une liste bien précise des 15 projets structurants. Cette liste contient quelques désaccords avec la Ville.
Recréer la confiance avec la Ville de Marseille
La Ville de Marseille a voté une contribution à l’enquête publique en octobre 2020. La Métropole en a tenu compte partiellement… grâce aux recommandations du Commissaire enquêteur. Sur le plan de mobilité final, on peut résumer en trois points les demandes de la Ville :
1. Ouvrir une réflexion sur les tarifications sociales et gratuités ;
2. Étudier des alternatives au boulevard urbain sud ;
3. Donner la priorité au Nord : T3 Nord – phasage1 jusqu’aux abattoirs (et pas Gèze) – phasage 2 jusqu’à Hôpital Nord ((ou a minima Saint Antoine) – et pas la Castellane. T2 Belle de Mai – phasage 1 jusqu’à Belle de Mai – phasage 2 Merlan, étudier les possibilités en métro
Il aura fallu le poids de l’État qui a conditionné son aide financière à la priorité Nord, pour obtenir une avancée : la mise en étude et réalisation du tramway de la Belle de Mai, que les deux mairies de secteur des 2/3 et des 1/7 avaient demandé de concert :
- Courrier des deux mairies de secteur à Mme Vassal (déc 2020) ;
- Délibération de la Métropole sur le tramway Belle de Mai (déc 2021).
Cependant, nous aurions voulu un calendrier de réalisation plus rapide, alors que la Métropole accélère le projet moins consensuel du Tramway de la Préfecture à la place du Quatre-Septembre. Sur ce projet, chiffré à 75 M€ (voire 83 M€) sur 2 km, sans aide de l’État, nous demandons depuis le début d’étudier un scenario alternatif de bus électrique à haut niveau de service, et la communication des études, pour répondre à 3 questions :
- Quelle est la fréquentation attendue en plus des bus actuels sur le même tracé ?
- Comment faire avec les voitures détournées du Vieux-Port qui coupent le tracé du tramway pour accéder au tunnel au niveau de la Rampe saint-Maurice (ce tramway ne sera pas une solution de substitution pour ces voitures) ?
- Comment faire avec la grande fontaine devant la Préfecture et tous les alignements d’arbres actuels ?
Nous voulons évidemment développer les transports en commun dans le 7ème mais cet arrondissement est très contraint : Collines très construites qui dévalent vers la mer, beaucoup de petites rues surchargées de voitures. Nous souhaiterions des boucles de transport en bus électrique, plus agiles et plus rapides à mettre en place, permettant de desservir davantage de kilomètres et de quartiers que les 2 km de tramway prévus. Cette solution est d’ailleurs développée dans d’autres communes de la Métropole.
Prenons acte d’un consensus sur le tramway Nord/Sud du quartier de La Castellane à La Rouvière, identifié depuis longtemps, et dont les travaux commencent en 2022. A contrario, beaucoup d’élus, sensibles à la mobilisation populaire pour un tramway des Collines, ont été déçus de n’en trouver aucune trace dans le document final.
En conclusion, ce Plan de Mobilité était bien nécessaire mais pas suffisant.
Et si on prenait un coup d’avance ?
De plus, il est lassant d’entendre toujours parler de « rattrapage » pour Marseille et jamais d’innovation exemplaire. Pour cela, il ne faut pas seulement se focaliser sur les infrastructures lourdes, mais s’intéresser aux usages, pas seulement regarder les parts modales de chaque mode de transport mais étudier comment réduire la quantité de déplacements motorisés. Prenons un exemple simple et concret que nous connaissons tous : Quand on travaille 5 jours par semaine, on réduit ses déplacements et sa facture d’essence de 20 % si on télétravaille ou si on pratique le covoiturage 1 jour sur 5. C’est spectaculaire, direct en résultat, et ça ne coûte pas des Millions aux pouvoirs publics.
En inscrivant durablement le télétravail dans les pratiques, la crise sanitaire a ouvert de nouvelles réflexions. La contrainte écologique des transports rejaillit aussi sur le numérique. Or, ça tombe bien, Marseille se prépare à devenir le 5ème hub internet du monde (tuyaux, serveurs…). Si on en profitait pour révolutionner les usages et la consommation énergétique, à partir des acteurs numériques présents sur notre territoire ?
L’urbanisme durable est une priorité de la Ville de Marseille. A nous d’imaginer une articulation différente entre l’habitat et le travail, pour en finir avec l’étalement urbain, les quartiers dortoirs, et la déconnexion urbanisme / mobilité.
Enfin, le périmètre de protection du centre-ville sera une réussite uniquement s’il sert à développer de nouveaux services pour toute la ville (logistique urbaine, autopartage, stationnement intelligent…), et pas à opposer les quartiers et les habitants entre eux.
C’est aussi en pensant au futur que nous sortirons des échecs du passé.
Sophie Camard
Présidente du Groupe Pour une Métropole du Bien Commun