A l’initiative de l’Université populaire de Marseille, un débat a réuni les lauréats du prix Albert Londres marseillais, en présence d’Hervé Brusini, Président du prix Albert Londres, le 6 mai 2023, dans l’amphi de la Faculté de droit et de science politique sur La Canebière.

La Marseillaise, 4 mai 2023
Accueil – Introduction au débat

Monsieur le Doyen,
Monsieur le Président du Prix Albert-Londres,
Mesdames, Messieurs,

Lorsque l’Université populaire de Marseille (Jean-Pierre Brundu) est venu me parler de rassembler les lauréats marseillais du Prix Albert-Londres pour un débat sur l’avenir de la presse, j’ai immédiatement trouvé l’initiative très forte et très belle.

Nous avons déjà ensemble un partenariat pour des conférences de grande qualité à l’auditorium de la mairie 1-7, un lundi sur deux, avec un public fidèle. Par cet événement, il s’agit à la fois d’élargir le public, et de nourrir la réflexion sur l’évolution de ce « quatrième pouvoir » que représente la presse et les médias dans les démocraties… ou qu’il est censé représenter, dans nos démocraties bien abîmées.

Nous le vivons en ce moment, nos institutions ont bien du mal à réguler les conflits, à répondre à des bouleversements phénoménaux comme le changement climatique, le pouvoir des grandes plateformes numériques, la montée de la violence virtuelle en ligne mais aussi physique, les phénomènes de « bulles de vérité », l’essor des théories du complot d’un côté, mais aussi, d’un autre côté, la difficulté grandissante des pensées critiques à se faire entendre, la suprématie de l’image sur l’écrit, l’irruption de l’intelligence artificielle… ça fait beaucoup…

La rapidité de ces transformations bouscule les temps longs de l’Histoire et de l’évolution humaine, déclenche des réactions identitaires et des crispations sécuritaires, au prix de remises en cause des libertés publiques. Dans le classement annuel de Reporters Sans Frontières, qui existe depuis 2003, la France n’a jamais été bien classée, à une moyenne de la 32ème place, sur 180 pays dans le monde. Cette année, notre pays est remonté de deux places, à la 24ème place mais selon l’ONG, c’est « parce que la situation se dégrade ailleurs », par exemple en Allemagne.

Dans ce moment de grande angoisse, nous devons préserver un temps de réflexion et de recul… avec l’actualité : Et c’est bien le paradoxe du débat d’aujourd’hui.

Les journalistes construisent l’actualité, cette actualité qui nous stresse, qui nous rend de plus en plus amnésique parce que tout événement médiatisé écrase le précédent, comme s’il était toujours le plus grave, le plus important jamais vécu. Mais ce sont aussi des journalistes, en attendant le travail des historiens, qui peuvent nous faire prendre du recul avec cette actualité, grâce à leur travail d’investigation, dans des formats plus longs.

Je sais que l’audiovisuel est devenu l’outil le plus efficace et pratiqué de cette profession. Je voudrais quand même rendre hommage à l’écrit, qui a l’avantage de sa longue histoire, d’une capacité de transmission et de comparaison encore très forte. Quand on lit l’ouvrage d’Albert Londres sur Marseille, Porte du Sud, on s’amuse des différences avec aujourd’hui ou on est frappés par les continuités.

Par exemple, j’aime beaucoup le passage sur les cartons à chapeaux des dames qui occupent les trottoirs quand elles attendent les bus pour prendre le bateau : « Le jour du départ pour la Chine, il y a des cartons à chapeaux dans tous les escaliers et sur tous les trottoirs de Marseille. Parce que j’en ai crevé quatre cet après-midi, des dames ont poussé des cris épouvantables et m’ont dit qu’elles me considéraient comme un maladroit. » (p.42)

Là, je me dis : Que ces dames ont bien raison de traiter ce Monsieur Londres de maladroit, mais aussi qu’à chaque époque, son conflit du quotidien. Avant c’était les cartons à chapeaux, maintenant, c’est les trottinettes !

A l’inverse, quand je lis le chapitre sur « la guerre mystérieuse de l’opium », ou la description de tous les trafics de Marseille, décrite aussi comme « la cité des mauvais coups », j’entends évidemment des résonances avec aujourd’hui, avec toute la richesse et la précision du vocabulaire d’Albert Londres.

Je sais que tous les prix Albert-Londres s’inscrivent dans cette veine. Je suis curieuse de les écouter livrer leur expérience et surtout que l’on puisse mesurer les évolutions et les points communs de tous ces terrains d’investigation, parfois et souvent de guerre.

Quant aux auditeurs, s’ils se sentent perdus, je terminerai avec le dernier conseil d’Albert Londres à la fin de son livre, quand il rend hommage au Phare du Planier, cette tour en haute mer, construite sur une île avec ses récifs, au large de Marseille : « Faites le voyage de Marseille, jeunes gens de France ; vous irez voir le phare. Il vous montrera un grand chemin que, sans doute, vous ne soupçonnez pas, et peut-être alors comprendrez-vous ? »

Sophie Camard

La Provence – 7 mai 2023